18.11.05

FRANCISCO JOSÉ VIEGAS, ENQUETE MELANCOLIQUE
(LE MONDE, Article de Gérard Meudal, paru dans l'édition du 07.10.05)

La rencontre était prévisible, inévitable sans doute, même si elle a mis un certain temps à se produire, celle de la saudade portugaise et du roman policier. On connaissait déjà l'inspecteur dépressif, en proie à des problèmes professionnels et sentimentaux, si en plus il est portugais, voilà qui ajoute une note originale de mélancolie à la noirceur du tableau. Les Deux Eaux de la mer sont le premier volume d'une trilogie que Francisco José Viegas a consacrée aux aventures de deux amis policiers, Filipe Castanheira, qui a quitté Lisbonne pour s'installer aux Açores, et Jaime Ramos, qui vit à Porto.
Le climat insulaire et plus généralement la contemplation de la mer provoquent une forme particulière de saudade. Est-ce justement ce qui a poussé Rita Calado Gomes à venir mourir sur une plage des Açores ? C'est sans importance puisque la police a conclu à une mort accidentelle et que l'affaire est classée.
Pourtant, en ce début d'août 1991, au moment où on retrouvait le cadavre de Rita, son amant, Rui Pedro Martin, avocat d'affaires à Porto, était assassiné sur une plage espagnole en Galice. Rui avait soigneusement organisé sa disparition, coupant tout lien avec ses amis, se retirant sur la Costa da Morte, près de ce cap Finisterre, qui figurait pour les Anciens le bout du monde. Sa mort faisait-elle partie d'un scénario qu'il aurait imaginé ? Il semble plutôt qu'il avait prévu de se retirer des affaires, d'entamer une nouvelle vie pour oublier ses activités d'espion, ou peut-être de se mettre à l'abri. Mais peut-on prendre au sérieux un espion portugais ? Le pays est-il assez stratégique pour se doter de véritables services secrets ? Et si Rui Pedro avait simplement cherché à se donner de l'importance en rejouant le roman de John Le Carré, Un espion parfait, qui évoque les derniers jours de Magnus Pym ?
MÉTÉOROLOGIE TOURMENTÉE
Les lecteurs friands d'intrigues bondissantes, toutes en poursuites et en morts violentes, seront déçus. Ici, l'enquête se transforme en méditation sur la mort au rythme lent de nuages qui passent devant la lune. Francisco José Viegas s'offre même le luxe d'un chapitre entier, à la manière de Perec, où un policier énumère, selon ses propres mots, « toutes les évocations dont je peux être capable pendant ce qu'il me reste de vie. Un phare. Une rose jaune dans un vase en verre à côté de la fenêtre. Un fleuve au printemps, à l'aube... » Le paysage prend une importance singulière, particulièrement ce cap Finisterre qui semble le décor idéal pour une réflexion sur la fin et la disparition. L'intrigue garde tout de même ses droits et l'enquête sera parfaitement élucidée. Mais tout est-il résolu pour autant et le héros peut-il considérer qu'enfin la lumière est faite ? « Par les livres et les rêves évidemment il avait appris que le sens de la vie est toujours défaillant et que seuls les rêves et les livres peuvent l'éclairer et nous apprendre à nommer les choses inconnues qui nous assaillent. » Entre l'anticyclone des Açores, les rivages du Portugal ou cette Costa da Morte de Galice, il souffle toujours des vents irrésistibles. Cette météorologie tourmentée devient chez Viegas une métaphore convaincante de la destinée humaine.